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Interview de Patrick Roux.
 
Patrick Roux est membre de l’Ecole Française Judo Jujitsu, il est 6ème dan, BEES 3ème degré et il a participé activement à la conception du projet judo (debout, sol et renaissance). Je l’ai donc rencontré pour lui poser des questions sur le projet judo et sur sa conception du judo. Il m’a très gentiment répondu autour d’un repas de l’amitié…
 
Bonjour Patrick Roux, Quel message pouvez-vous adresser aux enseignants qui pensent le judo de la même manière que vous au travers des projets judo que vous avez élaborés ?
 
Tout d’abord, je dirais que c’est quelque chose d’important quand on parle d’enseignement que les messages arrivent de différents angles. On a déjà tous fait cette expérience d’avoir notre propre professeur qui nous transmet un message sur la technique ou autre et à un moment donné, parce que quelqu’un d’autre nous redonne le même message sous une autre forme, on se dit « mais c’est bien sûr… » Le partage d’expérience est prépondérant et c’est ce que l’on a recherché dans le « projet judo renaissance » dans lequel nous avons interviewé des personnes des quatre coins de la planète. On s’est alors rendu compte que tout repose sur un socle commun : qu’est ce que le judo peut apporter à l’éducation et à la vie des hommes ? Faire passer ce message empêche notre discipline de devenir une discipline banale.
 
Que pensez-vous de l’aspect sportif du judo qui est très souvent le biais par lequel le judo est abordé dans les médias ?
 
Le vecteur sportif est pour moi tout à fait louable (et respectable) car il respecte le principe de l’efficacité. Si l’on observe le judo depuis qu’il est devenu sportif, cela ne l’a pas tué bien au contraire, ça l’a rendu planétaire ! Le but est de chercher à s’entraîner dans une logique d’ouverture d’esprit : faut-il chercher à tout développer en harmonie ou faut-il chercher à développer un seul facteur de manière hypertrophiée comme la musculature par exemple ? Le phénomène que je décris là n’est pas différent si je fais de la danse, du théâtre, du dessin etc. On peut par exemple faire de la musique quelconque sur le plan de la qualité pour entrer au plus vite dans le top 50 et vendre un maximum de disques ou faire de la musique pour exprimer quelque chose de soi-même ! Si la manière de pratiquer est quelque chose de bien construit, c’est ni plus ni moins que le développement de la personne sur le chemin de l’accomplissement. De cette façon là, le plus important c’est l’attitude et les grands objectifs ; la performance devient une sorte de prétexte et on doit chercher à dépasser ces objectifs matérialistes pour chercher ce qui est vraiment important dans la pratique du judo ! C’est frappant quand on entend des parents dire : « moi, j’emmène mon enfant au judo car c’est plus qu’un sport ». Les gens perçoivent une autre dimension que l’aspect purement sportif ! Ils sentent que par l’expérience motrice, l’enfant se construit. C’est quelque chose dont on a besoin peu importe l’âge. Quand on interviewe les grands professeurs comme c’est le cas dans « projet judo renaissance », on recueille des témoignages d’une grande pertinence et très enthousiasmants. Jigoro Kano a voulu un message de paix et de rapprochement des cultures entre les peuples. Il a passé tellement de temps à essayer de tendre vers ça que finalement, quelles que soient les turpitudes ou les maltraitances que la vie actuelle veut lui faire subir, le judo continu à parler aux gens et c’est extraordinaire !
 
C’est d’ailleurs ce que voulait Jigoro Kano par shin-gi-taï (esprit corps technique) en disant que les trois sont indissociables. Il faut pratiquer et penser à sa pratique. C’est ce que Kano souhaitait par le travail des kata et du randori ?
 
Oui. D’ailleurs les cours tels qu’ils sont construits le plus souvent respectent la vision de Kano. Les cours sont composés le plus souvent d’une partie technique et d’une partie libre d’expression par le randori. La problématique c’est comment être dans une continuité entre théorie et pratique pour qu’il n’y ait pas de cassure entre les grands principes du judo qu’on utilise dans les techniques et une débauche d’énergie en bafouant les grands principes. Ca peut laisser un goût bizarre à ceux qui observent sur le bord du tatami car c’est comme si nos grands principes n’étaient que des déclarations incantatoires alors qu’il faut les appliquer en randori ! J’étais par exemple frappé dans les années 80 par l’équipe de France de football qui s’était mise à jouer subitement comme les allemands (un jeu très très rude) et ça ne marchait pas du tout. D’un coup, ils se sont mis à jouer comme des brésiliens. D’un côté, cela relève d’aspects du jeu intéressants alors que de l’autre côté, ce n’est pas séduisant !
 
Peut-on utiliser cette comparaison que vous faîtes dans le domaine du judo avec le choc des styles japonais et géorgiens par exemple ?
 
Je ne suis pas certain en fait que les écoles de sambo ou de lutte géorgienne ne respectent pas (au départ en tout cas) les mêmes déterminants. Je me souviens par exemple de Vazagashvili qui a combattu dans les catégories -60, -66 et -73 kilos et qui projetait tout le monde en utilisant les principes du judo comme celui d’action / réaction. Donc même si son style venait d’une autre école, il appliquait tout ce qui fait la force du judo. Parfois, certains français essayent d’utiliser ces principes mais n’y parviennent pas, ils ne sont pas dans le temps etc. Ce n’est donc pas à la technique finale que l’on reconnaît un bon judoka mais plutôt dans la manière de les amener (la phase perceptive et décisionnelle). Je pense que le débat n’est pas là : il est dans l’intérêt de gagner une médaille dans certains pays. Ca peut amener un confort de vie, un apport financier, une promotion sociale ! Et n’oublions pas le point de l’évolution des règles d’arbitrage !
 
Vous en parlez beaucoup dans le projet judo ne-waza où vous revenez sur la mobilité au sol qui a été oubliée à cause des règles d’arbitrage ?
 
Le problème c’est que l’arbitrage est lié à des phénomènes de politique internationale et à des prises de pouvoir. Parfois les dirigeants ne sont pas des judoka ou ils l’ont été et l’oublient un peu, leur gestion s’apparente plus à de la géopolitique. Si pour séduire les médias, il faut couper une partie du combat en demandant (la télé notamment) des combats de plus en plus courts et télégéniques, les règles d’arbitrages évoluent parfois de manière bizarre. J’ai assisté par exemple il y a 15 ans à une réunion où un responsable d’arbitrage disait que si l’adversaire était sur le dos (mais pas forcément en situation d’immobilisation), il fallait annoncer osae-komi quand même ! Je pense que si on revient à des éléments fondamentaux comme la saisie et la position, même s’il ne faut pas trop fermer non plus, cela permettrait de favoriser l’expression du judo au niveaux mondial ou olympique mais dans un contexte comme celui-ci, ça devient difficile.
 
Quels sont les judoka qui vous ont marqué ?
 
Tout d’abord ce sont des judoka qui respectent le principe du geste efficace et beau. J’ai plaisir à voir quelqu’un qui fait preuve d’intelligence de jeu, d’habiletés. Il faut qu’ils respectent le principe de la meilleure utilisation de l’énergie. Dans ce cadre là il y a plusieurs athlètes qui m’ont marqué : j’aimais les combats de Yamashita, Rey, Kashiwazaki (et son exceptionnel travail au sol), Tchoullouyan, quatre combattants aux registres très différents. En les voyant on pouvait capter l’intelligence avec laquelle ils géraient leur potentiel du moment pour trouver une solution nette par ippon alors que d’autres gagnaient de manière plus heurtée. Quand on est professeur on doit transmettre de manière intacte la discipline aux générations futures donc on se doit d’être idéaliste. On ne peut pas se contenter d’une petite victoire et un professeur ne peut pas s’en contenter. Gagner c’est bien, c’est la conséquence d’un effort tout à fait louable, d’un investissement certain mais le professeur doit voir plus loin tout le temps. Le professeur est un média très puissant. Il a la possibilité de retraiter le message, de relativiser certaines victoires, d’approfondir. Il indique le chemin en quelque sorte. C’est quelqu’un qui continue son étude également pour rester dans cette dynamique. Si on arrête de pratiquer on n’est plus dans le processus. Quand on observe certaines compétitions, cela permet de prendre la responsabilité de dire ce qui est convaincant et ce qui ne l’est pas. Il faut défendre le beau judo quelles que soient les ambitions sinon on renonce aux fondements expliqués dans le projet judo renaissance. Il faut essayer de se rapprocher sans cesse de la maîtrise du geste et les judoka que j’ai cités sont de ceux-là ! Kashiwazaki et son travail au sol à une époque où le ne-waza était plus présent qu’aujourd’hui. Dans les années 90, il y en a deux que je trouve impressionnants : Jeon et Cho In-Chul. Mais n’oublions pas Nomura qui gagne les JO en 1996 à l’âge de 19 ans. Le beau judo c’est celui qui reste en mémoire longtemps. Chez nous, je pense surtout à Larbi Benboudaoud et Frédéric Demontfaucon dans des styles bien différents mais l’intelligence de combat dont ils font preuve les classe dans la meilleure utilisation de la force de l’adversaire. Il faut s’en inspirer pour développer notre culture et notre judo !
 
Vous avez dit qu’un bon athlète, c’est celui qui sait prendre la bonne information où elle se trouve. Pouvez-vous nous expliquer cela ?
 
C’est en effet une forme d’intelligence requise pour le haut niveau. Il faut pouvoir sélectionner les infos dont on a besoin pour avancer chaque jour. Dans le haut niveau le facteur temps est important : le meilleur athlète c’est celui qui utilise mieux son temps que les autres. S’entraîner selon ces principes rejoint selon moi les domaines de l’art, de la technologie, de la recherche etc. Finalement, c’est le chemin qui mène vers l’excellence et il faut s’en approcher. Dans un premier temps, le judo nous permet de mieux se connaître, il nous permet d’aller vers l’étude et la compréhension des choses et c’est à mon avis quelque chose de transversal. On utilise en quelque sorte des chemins différents pour aboutir aux mêmes choses. C’est quelque chose de civilisationnel qui fait qu’à travers les expériences des uns et des autres, la société continue de s’enrichir pour transmettre. Jigoro Kano nous a confié ce message là pour le transmettre. Mais là encore tout dépend de l’attitude de ceux qui enseignent.
 
Pouvez-vous nous parler des mondo que vous organisez à la fin de chaque séance projet judo ?
 
Le but du mondo c’est de faire en sorte que les pratiquants se posent la question : quels sont les savoirs et savoir-faire que j’apprends en faisant du judo et qui me sont utiles en dehors ? On pratique le mondo en fin de séance car les pratiquants sont encore chargés de sensations sur ce qu’on vient de faire. Dans ces conditions, les conversations sont souvent très riches. On parle de conditions de pratique, de ce que l’on peut améliorer dans la pratique, dans la pédagogie et parfois, cela part même dans un axe philosophique !
 
Les pratiquants retrouvent dans ces séances le vrai sens du randori à savoir un échange et non une confrontation. Que pouvez-nous dire là-dessus ?
 
Il faut d’abord expliquer le sens de chaque keiko (exercice). La manière de les pratiquer quotidiennement. L’intelligence, l’équilibre et les nuances vont permettre d’ouvrir le judo et de développer toutes les qualités (coordination, lecture du jeu etc.). L’ensemble du développement de toutes ces qualités fera qu’on arrivera à un judo complet. C’est le point de départ que souhaitait Jigoro Kano avec le kata : si on apprend à bien saluer, à bien chuter, à utiliser les modalités du randori, on aura un judo souple et qui ne sera pas sclérosé. C’est donc la priorité d’installer ces procédures là dans la pratique. Au départ c’est un peu de temps perdu mais au final c’est beaucoup de temps gagné.
 
Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Maître Hiroshi Katanishi qui intervient dans les dvd de l’Ecole Française Judo Jujitsu ?
 
Maître Katanishi est arrivé à un moment de sa carrière d’enseignant où il a créé sa propre méthode. On parle aujourd’hui de « Méthode Katanishi ». Il a réussi à synthétiser de nombreux exercices seuls, à deux, qui permettent de travailler à tous les niveaux car ils mettent progressivement en difficulté. Ca repose sur une longue analyse des fondements du judo et c’est pour ça que c’est tellement pertinent ! Bien sûr ce n’est pas la seule méthode et il en existe d’autres (il est normal que selon son vécu on approuve ou pas certaines pédagogies). J’en profite d’ailleurs pour parler du site Judo Montpellier sur lequel Yves Cadot et moi-même avons mis des articles concernant le judo. Yves va d’ailleurs écrire un livre pour « Les plus belles lettres de France ». En lisant son travail on découvre une vraie mine d’or ! Je voudrais pour finir indiquer que grâce au projet judo renaissance, on est parti rencontrer de grands judoka comme Yamashita, Fuji, Abe. C’est extraordinaire, quand on a commencé à leur poser des questions on a vu leurs yeux s’illuminer car ils étaient intéressés et nous étions connectés comme nous le sommes tous les deux en ce moment (ndlr : durant l’interview, nous étions en train de déjeuner et nous parlions passionnément !). Je pense qu’il faut toujours revenir à la source du judo car même si nous pouvons apprendre du style géorgien, nous ne pourrons jamais leur poser de questions sur le sens profond du judo. On a vécu un développement mondial du judo au travers de la compétition mais on est en train de se rendre compte que le judo apporte aussi bien d’autres choses.
 
Merci Patrick Roux pour ce moment de partage et pour votre message envers les pratiquants du judo.
 
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