Interview de Serge Feist.
 
 
Pouvez-nous donner votre sentiment à propos du judo français et mondial en cette année olympique ?
 
On va retrouver les mêmes : l’Asie en tête avec le Japon, la Corée et les chinoises chez elles. Ensuite l’Europe, et un nouveau qui a marqué de nombreux point : le Brésil (très bonnes performances aux Mondes de Rio). La France est au niveau chez les filles (chances de podium, voire de titres dans toutes les catégories). Chez les garçons, ça fait plusieurs années qu’on manque d’homogénéité, il y a des individualités qui peuvent gagner des médailles mais on ne sait jamais qui va sortir du chapeau. Il y a bien sûr Teddy Riner mais il est encore jeune pour en faire le favori ou le fer de lance du judo Français, cela lui mettrait beaucoup de pression. L’équipe est vieillissante, on retrouve encore Demontfaucon qui change de catégorie, Darbelet n’est plus tout à fait le meilleur, il a eu ses meilleurs résultats vers 23 ans (Europe 2003). En 60 kilos il n’y a pas vraiment de leader, en 81 Rodriguez a réussi une super performance à Rio mais un peu à la surprise de tout le monde ! Il est donc difficile de faire des pronostics.
 
On essaye de faire revenir le ne-waza au goût du jour, qu’en pensez-vous ?
 
Le ne-waza est victime des règlements, si on laisse passer notre chance, on va perdre notre spécificité. Il faut laisser vivre le ne-waza et cela passera par quelques adaptations des règles. Les arbitres ont des consignes en disant : si cela n’évolue pas, annoncez matte ! Les arbitres ne sont peut-être pas assez formés et n’ont peut-être pas assez de connaissances techniques pour laisser travailler au sol. En France on est sensible à ça et on a des fers de lance, comme Demontfaucon, qui montrent qu’on peut être fort debout et au sol. La CNA veut qu’on évolue sur le ne-waza pour laisser libre court à ceux qui veulent travailler au sol et on verrait plus de ippon. Il y a de plus le jujitsu-brésilien, volonté de créer une discipline efficace au sol que l’on a repris à la FFJDA et où les règles changent un peu. Mais ça donne une bouffée d’air frais et c’est à nous à imposer notre réglementation. Il y a un cours ne-waza mis en place par la Fédération. Cela doit intéresser les enseignants, c’est autre chose, on fait face à l’adversaire pour ne plus se mettre à 4 pattes. Je considère que je connais pas mal de chose en ne-waza mais j’apprends sans cesse. On voudrait que le combat soit aussi fluide debout qu’au sol ! Les gens qui ont des dispositions en ne-waza doivent avoir leur chance et cela passe par la FIJ (Fédération Internationale de Judo) au niveau de l’arbitrage.
 
Quels sont pour vous les points forts du ne-waza (travail au sol) ?
 
Les mêmes que pour le tachi-waza (travail debout) : la mobilité, le kumi-kata (garde), toujours faire face à l’adversaire ! Comment peut-on combattre en subissant à quatre pattes ? A moins que ce soit un passage pour reprendre l’initiative auquel cas cela ne pose aucun problème. Si c’est pour dire « j’ai tenu pendant 5 minutes » c’est dommage et je considère que par rapport à l’esprit du judo, on a quand même perdu. Il faut inculquer aux jeunes et moins jeunes que dans un sport de combat, il faut être de face ! Il faut travailler en uchi-komi (répétitions du mouvement) pour automatiser comme debout ! Les possibilités sont alors infinies !
 
Quelles sont les personnalités qui vous ont inspiré ?
 
Le premier qui nous a inspirés sur le ne-waza est bien sûr Maître Awazu avec une méthode faite de fondamentaux. Il y a aussi eu des visionnaires, avec une approche du ne-waza intéressante comme M. Pariset, qui s’est occupé de l’équipe de France en nous faisant travailler en uchi-komi. Les japonais appliquent vraiment tout ce qui est basique, fondamental, en restant axé sur le travail des jambes. En Europe, les soviétiques avaient un travail basé sur les clés à partir de la position quadrupédique ! Il fallait donc contre eux rester sur le dos pour pouvoir les gêner car ils n’avaient pas de solutions contre ça ! Deux écoles très différentes dans le style mais très efficaces. En France, on est entre ces deux écoles : Jean-Pierre Gibert, Christophe Gagliano et Frédéric Demontfaucon ont tous les trois beaucoup apporté au sol ! Jimmy Pedro est aussi fantastique dans ce domaine là. La finale de Los Angeles 1984 entre Gamba l’Italien et le Coréen ne s’est déroulée quasiment qu’au sol avec des situations où les deux ont été sur le point de conclure en ne-waza. C’était le combat le plus fabuleux de l’histoire en ne-waza. En 1979, le japonais au sol était fabuleux. Fabien Canu s’est inspiré de lui dans son travail ! Iaskevitch (Russie) était l’homme à la clé d’or (juji-gatame). Il leur faisait tellement peur que les adversaires perdaient seuls. Kashiwazaki en 1981 avait fait un travail fabuleux, il a donné une leçon dans les liaisons debout / sol. Quand il attaquait debout, il avait anticipé le travail de contrôle en ne-waza. Neil Adams aussi, les noms ne manquent pas ! Mais il faut faire la différence entre ceux qui vont être efficaces dans le ne-waza et ceux qui vont être efficaces en liaisons debout / sol. La clé et l’étranglement sont des techniques de liaisons debout / sol, alors que les immobilisations vont être des techniques de ne-waza.
 
Par rapport à votre carrière d’entraîneur national de 1974 à 1978 chez les juniors et de 1878 à 1996 chez les seniors, quel a été le moment le plus marquant ?
 
Ce n’est pas uniquement le résultat qui m’a marqué. C’était aussi le fait d’avoir une équipe de France reconnue ! C’était très important pour moi. Tous les pays peuvent avoir une grosse individualité. Il fallait que le judo français soit une référence mondiale. Que l’on reconnaisse l’Ecole française avec ce mélange d’école européenne et d’influences japonaises ! Les stages au Japon nous ont fait du bien en démystifiant cette grande nation du judo mondial. Il nous fallait comprendre les principes du judo. Chez les filles actuellement, c’est ce qui se passait avant chez les garçons. Je ne suis pas inquiet pour l’avenir car on a de superbes structures mais c’est dans le discours que ça passera.
 
Quelle direction souhaite prendre la CNA pour ramener un judo de qualité ?
 
On a mis en parallèle des techniques de judo actuelles et des techniques de luttes et le parallèle est saisissant. Beaucoup de professeurs ont le même discours que moi aujourd’hui : cette situation n’est plus possible et il en va de notre identité ! Il ne faut pas oublier que notre sport se pratique avec le judogi comme intermédiaire ! Il y a des choses à faire pour éviter les situations de combats fermés, avec saisies sur le pantalon ou plongées incessantes dans les jambes. La recherche du ippon est oubliée ! On va tout d’abord supprimer les saisies directes au pantalon en attaque et en défense pour améliorer les contrôles. On verra les gens se redresser, c’est certain. On veut redonner à celui qui attaque toutes ses chances ! Il faut éviter le profil du judoka lutteur. Les autres règles ne changeront rien pour les judokas qui cherchent l’attaque. Dans le ne-waza, il y a des propositions qui sont faites pour éviter la fuite du combat (en rampant en dehors de la surface de combats par exemple ou en se relevant pour éviter juji-gatame, bien souvent en acceptant de déplier son propre bras). Les enseignants devront trouver pour leurs élèves les solutions techniques pour s’en sortir plutôt que de compter sur les règlements ! C’est plus valorisant de sortir d’une mauvaise situation en utilisant la technique tout de même plutôt qu’en jouant avec son intégrité physique!
 
Avez-vous un message à délivrer aux visiteurs du site ?
 
Le judo c’est toute une vie, ça n’est pas uniquement un sport de combat. Le combat fait partie de la vie du judoka mais cela ne dure qu’un moment. Il ne faut pas arrêter là, sinon on n’a pas compris le message du judo. Techniquement, un champion ne connaît pas grand-chose, il va maîtriser 3 ou 4 techniques sur lesquelles il sera très efficace. En arrêtant, il va prendre le temps de comprendre. Les judokas qui commencent très tôt, il faut leur donner un bagage technique important. Il ne faut pas entraîner les jeunes de 8-10 ans comme des champions, c’est une grave erreur ! Un champion ne peut d’ailleurs pas forcément expliquer son mouvement, il le fait naturellement et ne pas toujours l’analyser. Quand on a un doute sur un principe du judo, sur une technique, il suffit de revenir aux katas!
 
Merci Serge Feist pour ce moment de partage et pour votre message envers les pratiquants du judo.
 
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